Lamptey, Nii Stats

En 1991, Bernard Tapie, toujours incontesté à l'Olympique de Marseille, s'exprimait en des termes élogieux concernant un joueur qu'il voulait acheter, un nouveau Pelé. Selon les rumeurs, Tapie avait fait une offre de 20 millions de dollars sur ce joueur, dont il ne voulait pas citer le nom afin de ne pas mettre le transfert en danger. Ensuite, on dévoila qu'il s'agissant de Nii Lamptey, le milieu de terrain ghanéen d'Anderlecht. Il alla alors au PSV, car Anderlecht voyait mal comment ce nouveau Pelé n'atterirait pas dans un club du top à l'étranger.

L'histoire de Nii Lamptey commence en 1980. Lamptey a alors 6 ans. A l'époque, on s'accorde à dire que sa date de naissance, le 10 décembre 1974, est la bonne. Mais il y 3 ou 4 ans, on commence à émettre des doutes: Lamptey, à soi-disant 16 ans, avait la physionomie de quelqu'un de 20 ans. Il avait une explication à cela: "Au Ghana, il est normal à l'âge de 6 ans de faire des choses pour sa famille, des choses qu'on fait à l'âge de 15 ou 16 ans seulement en Europe. Je devais par exemple aller chercher de l'eau 5 fois par jour. Je marchais 3 km par jour avecun seau sur ma tête, et ensuite 3 km pour le retour, tout ça 5 fois par jour".

Son histoire commence donc en 1980. Lamptey jouait tous les jours au ballon dans les rues d'Acca, la capitale du Ghana. Un riche homme d'affaire découvrait ses talents et allais jouer un rôle important dans sa carrière. Salifu Abubakari promettait alors aux parents de Lamptey qu'il s'occuperait bien du garçon et leur demandait sa confiance. Il ne la reçut que partiellement, car le père de Lamptey souhaitait que son fils aille à l'école pour apprendre à lire et à écrire. Ceci a réussi seulement partiellement, car même encore maintenant, Lamptey ne sait écrire que quelques mots en anglais. Abubakari voulait que Lamptey parte jouer au Kaalun Stars, un club près de la ville de Kumasi, à 4h d'Acca. Son père s'y opposa, mais il pouvait toujours s'occuper de la formation de son fils. Lamptey lui-même aurait bien voulu partir au Kaalun Stars, uniquement car il détestait l'école. "Mon père travaillait dans un garage. Il voulait que je fasse quelque chose de mieux, et c'est pourquoi il insistait tant pour que j'aille tous les jours à l'école. Je n'en avais vraiment pas envie, j'y allais peut-être deux fois par semaine. Cela rendait mon père fou de rage, il me frappait quand il apprenait que je n'allais pas à l'école. Mais maintenant il se rend compte que le football était tout pour moi, et il est très fier de moi".

Le contact entre Lamptey et Abubakari eut pour conséquence que le joueur devint musulman. Abubakari était un musulman convaincu, il priait 5 fois par jour. Les deux hommes passaient beaucoup de temps ensemble. "Mon père était choqué quand je le lui ai raconté. Pour moi, ça ne faisait pas beaucoup de différence. Les Chrétiens et les Musulmans ont chacun un dieu. Les Chrétiens parlent de Jésus, les Musulmans d'Allah. Cela revient finalement au même".

Prier 5 fois par jour est maintenant devenue une partie intégrante de la vie quotidienne de Nii Lamptey. Il compare tout à Allah, à Dieu. "Je ne sais pas toujours faire la prière au bon moment, lors d'un match par exemple. Mais Dieu sait alors que je fais autre chose pour lui à ce moment-là. Il décide de tout pour moi, de ma chance comme de ma malchance. Si je me retrouve seul devant le but vide et que je frappe à côté, c'est que Dieu l'a voulu ainsi. Ma dernière année à Anderlecht fut une énorme déception. Je n'ai pratiquement pas joué. Je n'y pense maintenant plus. Allah l'a voulu ainsi, il va continuer à me guider pour le reste de ma carrière. Si je manque une prière par jour, je me sens seul. J'ai alors loupé le contact avec Allah et je n'arrive plus à me concentrer".

A la maison, Lamptey ne parlait pas anglais, mais le 'Ga', la langue de sa tribu d'origine. Son prénom 'Nii' signifie 'le roi'. Normalement, c'est le père de Lamptey qui devient le roi, et Nii est alors appelé à lui succéder. Mais Nii, le roi des terrains, ne veut pas devenir roi au Ghana. "Dans ma jeunesse, j'ai été rarement à l'école. Comment aurais-je donc pu devenir roi?" Toujours sous l'influence de Salifu Abubakari, Nii Lamptey va jouer foot à lâge de 14 ans au Cornerstone United, un club d'Accra. Quand il eut joué quelques matchs avec l'équipe B, il reçut une convocation pour jouer avec l'équipe nationale des moins de 16 ans. Nii Lamptey n'avait encore même jamais joué en équipe A mais il allait charmer le monde entier à la Coupe du Monde -17 en Ecosse, en juin 1989. Le Ghana n'allait pas réussir à passer le premier tour et se fit éliminer par Bahrein et l'Ecosse (deux demi-finalistes, compétition remportée par l'Arabie Saoudite). Mais dans le match contre Bahrein, perdu 1-0, Nii Lamptey avait fait un grand show. Dans les tribunes de Glasgow, il y avait des visionneurs d'Anderlecht, de Glasgow Rangers, de Queens Park Rangers et du Vasco de Gama. Jean Dockx et Roland Van Ginderachter faisaient le rapport suivaient: un grand talent, mais ce sera difficile de l'attirer dans notre pays.

Anderlecht fut aidé grâce au fait que Lamptey voulait venir en Europe et le plus rapidement possible. Les Bruxellois pouvaient compter sur un autre argument de poids: ils avaient dans leur rang le Nigérian Stephen Keshi, connu partout en Afrique. Lamptey: "En Ecosse, quelqu'un m'avait raconté que les Glasgow Rangers ma voulaient, mais ils ne sont pas venus me parler. J'ai aussi entendu parler de l'intérêt d'Anderlecht. J'ai entendu aussi que Keshi venait à Lagos pour un match avec le Nigéria, j'y suis donc allé aussi".

C'était l'introduction d'un chapitre sensationnel de la vie de Lamptey. Il devait sortir du pays, et il avait trouvé l'astuce suivante. Lamptey alla en taxi au Nigéria. A la frontière, le chauffeur raconta simplement que le gamin était son propre fils, et c'est via le Togo et Bénin que la voiture arriva à Lagos. Après le match, Lamptey alla trouver Keshi. Il se présenta, lui raconta son histoire et parvint à le convaincre de le ramener avec lui en Belgique. Ce n'était pas si étonnant car Keshi était déjà intéressé à l'époque par une fonction de manager. Ces dernières années, Keshi est devenu en Afrique une figure de proue dans la gestion des carrières des joueurs, principalement ceux du Nigéria. Mais un problème subsistait pour Lamptey. Au Ghana, personne ne savait qu'il avait l'intention de partir et de se rendre en Europe. Stephen Keshi prit donc ainsi contact avec l'ambassadeur ghanéen au Nigéria et ce dernier lui procura les documents de voyage nécessaires. Une fois arrivé à l'aéroport de Zaventem, Keshi s'empressa de téléphoner à Michel Verschueren. Les papiers de l'ambassadeur n'était apparamment pas les bons. Lamptey était venu illégalement en Belgique mais Verchueren (dont le frère siégeait au Sénat) régla facilement le problème.

Nii Lamptey: "J'étais là à l'aéroport, et je n'avais rien sur moi. Un petit sac de sport, un pantalon et un t-shirt, c'était tout. Quand Verchueren m'aperçut, il ne croyait pas que j'étais Nii Lamptey. Il l'expliqua à Keshi qui ne parvenait pas à le calmer. Ce n'est qu'après avoir réalisé quelques numéros sur le terrain que Verchueren nous a alors cru".

L'arrivée de Lamptey en Belgique fit l'objet d'une publicité énorme. Le nombre de spectateurs aux entraînements tripla, et Jean Dockx raconta que c'était lui seul qui l'avait découvert en Ecosse. Aad De Mos n'hésita même pas à affirmer que Lamptey deviendrait un jour meilleur que Marco Van Basten. Quelle pression pour ce jeune joueur! De Mos le fit immédiatement jouer avec les Espoirs et les Réserves, pour le faire débuter à 6 jours de ses 16 ans dans l'équipe A d'Anderlecht (16 décembre 1990): Lamptey remplaça Nilis pour les 20 dernières minutes du match au Cercle de Bruges et remerciait son coach d'un but.

Lamptey: "J'ai toujours gardé les pieds sur terre. Grâce à Dieu, vous savez. Ces déclarations n'étaient pas les miennes, mais celles d'autres personnes. Je remarquais que les gens étaient bizarres quand ils m'approchaient, mais je n'ai jamais ressenti cette situation comme étant de la pression. J'étais simplement fier d'être là où j'étais, de pouvoir chaque mois envoyer une grosse somme à ma famille au Ghana".

De Mos aurait mieux fait de se taire dans la presse, mais sur le terrain, il faisait ce qu'on attendait de lui. On épargnait le Ghanéen, il ne jouait jamais 3 matchs d'affilée comme titulaire, et était souvent remplaçant. Lamptey remercia son coach de plusieurs buts importants (en tout, 7 + 1 en 1/4 de finale à la maison contre l'AS Rome), qui furent à la base du titre décroché en 1991.

Toujours en 1991, trois mois après le titre, Lamptey vivait le plus grand triomphe de sa carrière. Du 15 au 31 août était organisé en Italie la 4e Coupe du Monde -17. Dans la finale au Stadio Communale de Firenze, le Ghana gagna contre l'Espagne, après avoir bousculé l'Uruguay, le Cuba, le Brésil et le Quatar. De plus, Lamptey était le meilleur buteur de la compétition et élu meilleur joueur du tournoi. Tous les grands clubs européens avaient évidemment envoyé des visionneurs. Notamment l'Olympique de Marseille, tombé sous le charme du duo Lamptey-Duah. Pour Duah, l'OM était arrivé trop tard car Torino avait versé une somme énorme à l'Union Ghanéenne de football pour 3 joueurs, dont Duah. Ce même Duah arriva ensuite en Belgique, en prêt au Standard. Néanmoins, le numéro un absolu aux yeux de Tapie restait Lamptey. Quand il parla du 'nouveau Pelé', tout le monde avait bien compris qu'il s'agissait de Lamptey. Les négociations ne purent finalement être concrétisées, car Anderlecht ne voulait pas vendre son joyau. Le quotidien l'Equipe avait parlait d'une offre de 20 millions de dollars de la part de Tapie. En réalité, l'offre n'était même pas de la moitié! Il voulait entraîner Anderlecht dans une opération d'échange, en proposant au club belge des joueurs en échange de Lamptey. Il se servit de Raymond Goethals, enfant sacré à Anderlecht, pour convaincre les dirigeants bruxellois. Quatre ans après, Tapie était finalement content de ne pas avoir réalisé le transfert. Anderlecht regrette d'être passé à côté d'une telle somme d'argent.

A partir de la saison 1991-1992, les choses commencèrent à mal tourner pour Lamptey. Le champion du monde se blessa. Il était surchargé et fatigué. Lamptey: "Une affaire ennuyeuse. Ton corps veut continuer, mais on sent que ça ne va pas. Et Anderlecht me reprochait que les blessures étaient toujours là dans la compétition belge, et jamais avec le Ghana".

Le conflit entre le joueur et le club était ouvert. Anderlecht estimait que le joueur s'en allait trop souvent en Afrique pour jouer avec l'équipe nationale. C'était vrai car 1992 était l'année de la CAN au Sénégal et des Jeux Olympiques à Barcelone. Les JO ne furent pas une réussite pour le Ghana (médaille de bronze), mais bien la CAN. Lors de la finale à Dakar, le Ghana devait jouer sans Abédi Pele qui avait reçu la jaune en demi-finale. La Côte d'Ivoire put garder le nul et profita des talents de son gardien Gouaméné lors de la séance des tirs aux buts (11-10). Lamptey avait éclaboussé le tournoi de toute sa classe, mais il avait néanmoins perdu de son tranchant. Les doutes étaient bel et bien là et étaient exprimés publiquement par des gens qui avaient cru énormément en lui avant.

En préparation de la saison 1993-1994, Lamptey s'en alla en stage au PSV qui souhaitait le louer, mais certainement pas l'acheter, en raison de l'énorme prix revendiqué par Anderlecht (20 millions de dollars) pour un joueur qui en plus avait encore tout à prouver. Il retourna à Bruxelles car le club néerlandais ne voulait pas dépenser autant d'argent. En 1993-1994, il dut prendre place sur le banc à Anderlecht jusqu'à ce qu'Anderlecht décide le 4 août 1993 de le louer un an au PSV. Aux Pays-Bas, il retrouvait son ancien entraîneur Aad De Mos, l'homme qui l'avait fait débuter en Belgique. Au PSV, les médias le voyaient comme le successeur de Romario qu'il devait faire oublier: une mission impossible pour un si jeune joueur. De plus, la période était mal choisie pour Lamptey. Le PSV était occupé à construire une toute nouvelle équipe, basée sur des jeunes talents du club. Avec Arthur Numan, Lamptey est devenu le meilleur buteur avec seulement 10 réalisations. Il a disputé 22 matchs de championnat, 2 matchs de coupe, et 1 match de Coupe d'Europe contre Karlsruhe SC. Avec ses dix buts, il devenait le meilleur buteur du club. Même avec l'équipe nationale, 1993 n'allait pas être un succès: avec cette équipe, le Ghana aurait dû se qualifier pour la Coupe du Monde 1994 aux USA, mais l'Union Ghanéenne de Football avait fait des mauvais calculs. En Algérie, un nul suffisait au Ghana. La tâche semblait si facile qu'on envoya Lamptey jouer avec l'équipe B qui jouait la Coupe du Monde en Australie. Le Ghana y jouait la finale et Lamptey disputait un très bon match, ce qui lui valut d'être élu deuxième meilleur joueur après le Brésilien Adreano. Mais en Algérie, l'équipe A connaissait la catastrophe, et personne ne s'y attendait à Accra. Lamptey: "C'est vraiment regrettable, car on aurait pu aller aux Etats-Unis avec notre équipe. Nous sommes plus forts que le Nigéria ou le Cameroun, personne ne dira le contraire. Mais j'étais moi-même pour le fait d'aller renforcer les B en Australie. Il s'agissait d'une Coupe du Monde, on ne laisse pas ce genre d'événement si facilement de côté".

Le 6 février 1994, Nii Lamptey vit son heure de gloire au PSV en inscrivant 2 buts contre l'ennemi juré Ajax lors de la victoire 4-1 à domicile. C'est aussi lui qui marqua l'unique but du match contre Feyenoord à domicile. La saison suivante, il allait se faire éclipser par Nilis et Ronaldo. Nii pouvait revenir à Anderlecht. Tout compte fait, il ne s'en sera pas sorti trop mal au PSV. On se rend compte après coup que ce fut sa meilleure saison de sa carrière.

A l'âge de 22 ans, il était déjà cuit après sa période PSV. Il voyagea alors de club en club: après un passage à Aston Villa marqué par de nombreuses blessures, il tenta sa chance à Coventry City (prêt) et entra en conflit avec le club anglais suite à sa participation à la CAN. Il partit alors en Italie (Venise, Série B), Argentine (Union de Santa Fé), Turquie (Ankaragücü), Portugal (Uniao Leiria), Allemagne (Greuter Fürthen, 2e Bundesliga) Chine (Shandon Luneng). En Chine, il dut encore faire une pause-carrière suite à une maladie. A plusieurs reprises, il allait même envoyer une lettre de candidature à différents clubs européens, dont Twente, Anderlecht et le PSV. Aucun d'entre eux ne souhaitait faire appel à ses services. En 1996, sa carrière internationale avec le Ghana était elle aussi terminée. Il fit sa dernière apparition sous ses couleurs nationales lors de la CAN en Afrique du Sud.

En Argentine, il eut un fils qu'il appela Diego Maradonna, sa grande idole. Mais son fils, né prématurément, dût être emmené à l'hôpital car il souffrait d'une maladie sévère. Nii n'avait plus envie de s'entraîner et annulait les entraînements et les matchs pour être près de son fils. Mais son club n'avait aucune compassion et le licenciait sur le champ. Quelques jours plus tard, un autre événement allait le frapper. Diego décédait à l'hôpital en Argentine. Il n'avait que quatre mois. Il était né 1 mois trop tôt, mais surtout parti aussi beaucoup trop tôt.